« J’ubérise, tu ubériseras, qu’il eût ubérisé… » Qui pouvait imaginer, ce 5 décembre 2011, que le nouveau service de voitures de transport avec chauffeur (VTC) lancé à Paris par une start-up californienne allait être bientôt consacré par les dictionnaires ?

Ubériser et ubérisation sont désormais hébergés par le Robert, tout comme par le Larousse qui évoque la «remise en cause du modèle économique d’une entreprise ou d’un secteur d’activité par l’arrivée d’un nouvel acteur proposant les mêmes services à des prix moindres, effectués par des indépendants plutôt que des salariés, le plus souvent via des plateformes de réservation sur Internet ».

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Tout était en place pour « un choc majeur »

La remise en cause est colossale ! « Je ne connais pas d’autre activité qui ait été à ce point bouleversée par une telle révolution de l’offre et du modèle économique », observe l’économiste Jean-Charles Simon, président du cabinet Stacian et auteur d’études sur ce marché.

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Selon lui, tout était en place pour un «choc majeur », avec un cadreréglementaire cadenassé qui organisait la profession de taxi et une offre très en dessous de la demande dans les métropoles. «Uber est arrivé avec un énorme potentiel, en termes de clients, mais aussi en termes de chauffeurs disponibles car l’accès à un volant pour la plateforme était très peu réglementé au début », ajoute l’économiste.

70 000 chauffeurs ont déjà travaillé pour la plateforme

Dix ans après son arrivée, la plateforme annonce que 70 000 chauffeurs ont accompagné son parcours en France et que 30 000 sont en activité aujourd’hui. Pour autant, on ne sait pas si elle a atteint un jour la rentabilité dans l’Hexagone, Uber ne communiquant ses résultats qu’au niveau mondial. C’est d’ailleurs cette année que la start-up a annoncé pour la première fois un excédent brut d’exploitation au troisième trimestre.

Pour son dixième anniversaire en France, Uber annonce en revanche, sur la foi d’un rapport du cabinet Asterès, une contribution de 865 millions d’euros pour l’économie française grâce notamment à l’écosystème qui entoure son activité.

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L’émergence d’Uber et des concurrents qu’elle a inspirés, ainsi que les tensions que cela a provoquées au milieu des années 2010 avec les taxis, ont conduit à plusieurs textes de loi pour réguler les activités des uns et des autres, l’accès à ces professions, mais aussi les relations sociales avec les chauffeurs. Des élections de représentants des travailleurs des plateformes devraient être organisées en mars 2022.

Les chauffeurs Uber britanniques auront droit à un salaire minimum

«Au début, nombreux sont les économistes libéraux qui ont regardé avec bienveillance cette innovation dans le secteur de la mobilité, qui a permis un développement sans précédent de l’autoentrepreneuriat, relève Baptiste Brossard-Kimmel, chez Sia Partners. Uber a permis l’accès à l’emploi, sans aide publique, de dizaines de milliers de personnes.» Selon la société californienne, qui a demandé une étude au cabinet Harris Interactive (1), 47 % des chauffeurs sont de nationalité française mais au moins un de leurs parents est étranger, et 30 % sont eux-mêmes étrangers.

Mais Uber est aussi devenu le symbole d’un modèle que certains dénoncent pour le trop peu de protection offerte à des travailleurs présumés indépendants, mais dont les relations avec les plateformes s’apparenteraient davantage à des liens de subordination. Des conducteurs demandent leur requalification devant la justice, en France comme à l’étranger. De son côté, Uber pointe que 80 % des conducteurs veulent rester indépendants et que les chauffeurs sont de plus en plus fidèles.

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«L’arrivée d’Uber en France a changé énormément de choses, analyse Baptiste Brossard-Kimmel. Elle a contribué à l’expansion de l’usage de l’Internet mobile, encore balbutiant en 2011, a fait monter en gamme le service des taxis. » Mais, selon ce dernier, l’influence de l’entreprise va au-delà de la mobilité : «Depuis Uber, la société a davantage l’habitude des innovations de ruptures et sait réagir plus vite en termes de régulation. »

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350 millions de trajets en dix ans

Uber couvre désormais 24 agglomérations en France représentant 800 communes et revendique 350 millions de courses durant cette décennie. En 2021, le géant des VTC a retrouvé 90 % de son activité d’avant la crise sanitaire avec 5 millions de clients ayant réalisé au moins un trajet. Le record de courses en un jour s’est élevé à 301 337, lors du réveillon de la Saint-Sylvestre de 2019. La course la plus longue, elle, a été de 1 129 km entre Marseille et Plumieux, en Bretagne, en mai 2020. Les passagers d’Uber sont à 52 % des femmes. Les deux tiers des clients ont moins de 34 ans et 20 % ont entre 35 et 49 ans.

(1) Étude réalisée en ligne auprès d’un échantillon de 2 284 chauffeurs du 14 octobre au 2 novembre 2021.