Fin octobre, la capitalisation de Tesla a dynamité la barre des 1.000 milliards de dollars. Et, depuis, elle se maintient au-dessus. C'est 3,5 fois plus que celle de Toyota, le numéro un mondial, 7,5 fois celle de Volkswagen, le numéro deux, et plus de 100 fois la valeur de Renault en Bourse, bien que le constructeur français vende plus du double de voitures par an. L'engouement des marchés financiers pour Tesla, dont la valeur a été multipliée par douze en deux ans, tient de la mystique. Et peu importe tout ce qui pourrait contrecarrer cette foi aveugle. Pourtant, les alertes sont nombreuses: la marque des stars et bobos branchés a reçu des mises en garde répétées de la part de l'agence américaine en charge de la sécurité routière, suite à de nombreux accidents mettant en cause le freinage d'urgence ou son système de conduite semi-autonome Autopilot. L'accident mortel à Paris, mi-décembre, d'un taxi G7 dont le chauffeur a perdu le contrôle de sa Tesla 3 ajoute à la polémique. Et ce, sans parler du mécontentement des clients américains sur la fiabilité des modèles, dans les enquêtes de JD Power et Consumer Reports. "Or, une voiture à problèmes peut causer bien plus de dégâts qu'un iPhone défectueux", souligne Matthias Schmidt. Et ce consultant allemand, qui a créé son propre cabinet, insiste: "Le monde automobile est plus complexe que le monde des smartphones auquel beaucoup aiment comparer Tesla."
Mais Elon Musk et ses fans ne veulent voir que l'incontestable réussite d'un label créé en 2003 pour produire à l'époque des voitures sportives électriques en toute petite série. Depuis 2012, fini l'artisanat, place à la série avec la limousine Model S, assortie de son dérivé SUV, le Model X, commercialisé en 2015. Ces deux modèles ont permis à la marque californienne de se faire connaître sur le plan mondial. Pour la première fois, une voiture zéro émission offrait une autonomie capable d'envisager de longs trajets. Surtout, ce rayon d'action inédit était épaulé par les Superchargeurs, des stations maillant les Etats-Unis, l'Europe et la Chine équipées de bornes électriques permettant de charger l'auto en une heure environ. Mieux, en 2017, la Tesla Model 3 démocratise le marché avec un prix de vente à partir de 43.800 euros. "Les grands constructeurs vont arriver en force sur le même créneau pour moins cher. Et là, ça va être dur pour Tesla." Didier Leroy, ex-vice-président de Toyota.
Contretemps dans le camion
Produire en grande série a été une rude gageure. Mais, en 2020, Tesla a passé pour la première fois le cap des 500.000 voitures vendues, frisant le million un an plus tard, malgré la pandémie et la crise des semi-conducteurs. Le constructeur jouit notamment d'un net avantage, à savoir "ses capacités de développement en informatique", selon l'analyste Trip Chowdhry, du cabinet Global Equities Research.
Après avoir perdu la bagatelle de 4,5 milliards de dollars entre 2016 et 2019, la firme high tech est parvenue en 2020 à dégager enfin un bénéfice net de 721 millions, pour un chiffre d'affaires de 31 milliards. Tout en démarrant la production dans une usine en Chine. Suprême pied de nez: en septembre, la Model 3 a réussi l'incroyable exploit de devenir la voiture la plus vendue en Europe, devant la Renault Clio. Une performance certes réalisée sur un seul mois. Il n'empêche. Et voici son dérivé, le Model Y, importé de Shanghai. Toujours aussi mégalomane, Elon Musk prédit à ce nouvel SUV de devenir la voiture la plus vendue au monde!
Cependant, la route se complique pour le champion de la voiture électrique. "Les grands constructeurs vont arriver en force sur le même créneau pour moins cher. Et là, ça va être dur pour Tesla", estime ainsi Didier Leroy, ex-vice-président de Toyota. De fait, les groupes allemands Volkswagen, Daimler, BMW, et le coréen Hyundai lancent des concurrentes directes des Tesla, avec un savoir-faire inégalé dans la production de masse. "Mercedes rivalise désormais techniquement avec Tesla en matière d'autonomie et de consommation, Hyundai en termes de temps de recharge", note ainsi un expert français. Certes, Tesla investit proportionnellement plus que BMW ou Volkswagen dans l'électrification (et la conduite autonome) par voiture vendue, selon une étude d'AlixPartners. Mais les sommes globales sont forcément inférieures, vu les tailles respectives des entreprises.
Tesla subit aussi des contretemps. Le lancement du camion électrique, dont les rivaux contestent la pertinence vu le poids des batteries pour mouvoir le tout, a été décalé. Elon Musk a par ailleurs confirmé en juillet 2021 le report de la mise en production du Cybertruck, son pick-up au style anguleux. Ce qui laisse le temps à Ford de lui griller la politesse avec la déclinaison électrique de son célèbre pick-up F, lancée au printemps 2022. Le démarrage de l'usine berlinoise de Tesla enregistre également des retards conséquents. La procédure controversée d'autorisation préalable, qui lui a permis de commencer les travaux dès 2019, n'a toujours pas débouché sur un agrément définitif, les autorités évaluant encore l'impact de l'usine sur l'environnement local.
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Contestation écologique
Justement, les voitures électriques de Tesla sont de plus en plus contestées sur le plan même de l'écologie. Car elles sont très lourdes, jusqu'à 2,5 tonnes. "Le cycle de fabrication et de fin de vie équivaut à 12 tonnes de CO2, contre 5 tonnes pour des modèles équivalents thermiques, essence ou diesel", indique Guillaume Devauchelle, ex-directeur de l'innovation de Valeo. La production est donc terriblement énergivore. Et la constitution même du véhicule pose problème. "Sur un véhicule de 1,25 tonne, il y a déjà 543 kilos d'acier, 173 d'aluminium, 159 de plastiques, 80 de caoutchouc en moyenne", détaille la Plateforme automobile, qui rassemble les industriels du secteur en France. Pour un véhicule deux fois plus lourd, il en faut évidemment beaucoup plus! En outre, un véhicule plus lourd
"use, en principe, davantage ses pneus", renchérit Florent Menegaux, le président de Michelin. Enfin, les très grosses batteries des Tesla demandent du cuivre, du nickel, du cobalt. "C'est le gros problème, car leur extraction est très polluante", rappelle Guillaume Devauchelle.
Et sur la route? Le bilan n'est pas terrible non plus. Car une Tesla S qui emporte 600 kilos de batteries va consommer beaucoup d'énergie… pour transporter lesdites batteries. "Un tel modèle électrique pour des grands trajets n'est pas du tout vertueux", assure même le responsable R&D d'un grand équipementier. Mais, pour l'instant, les politiques n'ont cure de ces écueils. La volonté des Etats, notamment en Europe, d'interdire les moteurs thermiques en 2035 ouvre un boulevard à Tesla. En attendant que les véhicules à hydrogène concurrencent les modèles à batteries… Mais ce ne sera pas avant la fin de la décennie. Le cours de Bourse de Tesla n'a pas fini de s'envoler.
La gigafactory de Tesla, à Sparks (Nevada). Produire en grande série a été une rude gageure pour la firme d'Elon Musk, qui a frisé le million de voitures en 2021. Mais désormais, Volkswagen, Daimler, BMW, et Hyundai lancent des concurrentes directes, avec un savoir-faire inégalé dans la production de masse.